Où il a été question d’éducation artistique et culturelle, de diversité culturelle et de territoire(s). Bref retour à distance sur les échanges de la semaine.
Lors de la présentation de leur livre « Education artistique, l’éternel retour ? » (16 juillet, Théâtre des Doms), Marie-Christine Bordeaux et François Deschamps ont rappelé que l’éducation artistique n’était pas une matière mais un moyen pour penser autrement l’acte de transmettre, rejoignant en cela le questionnement de Jean-Gabriel Carasso «est-ce une éducation à l’art ou une éducation par l’art ?» (17 juillet, FNESR). Emmanuel Constant, Vice-Président du Conseil général de la Seine-Saint-Denis (18 juillet, Commission Culture ADF), a souligné pour sa part que, dorénavant, nous partagions toutes et tous une vision commune de l’Education artistique et culturelle dans "sa dimension émancipatrice", même si Catherine Marnas a rappelé (17 juillet, FNESR) que «l’éducation artistique, c’est comme la parité, c’est consensuel. Personne n’est contre mais il reste encore à s’en emparer !".
Vision commune donc mais des manières de la ressentir différenciées. Emmanuel Constant a ainsi défendu que, suivant les territoires de projets, des chefs de file différents pouvaient exister et que le mérite de l’Etat (et notamment du Ministère de la Culture et de la Communication) avait été de définir un cadre national permettant l’expression des singularités territoriales. Reste que le projet éducatif nécessite des cellules d’appui et que si le Département ne choisit pas d’en être le chef de file, "il se doit d’en être le coordonnateur, l’organisateur pour les personnes (et leurs représentants) qui vivent dans les territoires" ; une posture qu'Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture, a également défendu (17 juillet, FNESR puis 19 juillet, Grand débat des collectivités territoriales) : « nous voulons travailler au plus près du terrain mais il faut que les collectivités aient un projet (…) un projet permettant également une éducation artistique tout au long de la vie » et argumenté financièrement : «le BOP 224 sera en augmentation en 2014 pour tout ce qui concerne l’éducation artistique et culturelle avec comme objectif le doublement des crédits à la fin du quinquennat».
« Et maintenant la culture on fait comment ? » (et commun !?), tel était l’intitulé du grand débat des collectivités territoriales du 19 juillet. Animé par Emmanuel Wallon en présence de toutes les associations d’élus et de la Ministre de la Culture, ce débat a eu comme principale valeur le texte remis aux participants en ouverture. Les onze associations de collectivités territoriales ont ainsi signé 15 engagements partagés partant du respect de la diversité culturelle (convention Unesco) pour se terminer par la nécessité de « refonder l’ancrage des politiques culturelles au cœur des politiques » et ce faisant que les « pouvoirs publics doivent prendre la mesure des modifications des comportements (…) des citoyens sous le signe de la nécessaire reconnaissance de la valeur culturelle des personnes » afin « d'appeler une perspective complémentaire de démocratie culturelle à l’ambition de démocratisation qui a montré simultanément son succès et ses limites ». Voilà qui faisait écho au bilan et perspectives que les 4 Départements (Ardèche, Gironde, Nord, Territoire de Belfort) engagés dans le programme 4D en collaboration avec l’Observatoire de la diversité et des droits culturels (Université de Fribourg), l'Assemblée des Départements de France, Culture et Départements et le Réseau culture 21 ont réalisé lors de la Commission Culture de l’ADF du 18 juillet et dont vous pouvez visionner la vidéo ici même. Sans revenir sur le fond qui avait déjà fait l’objet de la matinée de la commission ADF d’Avignon 2012, il a été rappelé que les Conseils généraux de France, du fait de leur implication dans la cohésion sociale de leurs départements et de leur rôle historique dans l’aménagement du territoire non pas conçu comme équipements techniques, dispositifs et tuyaux mais avant tout comme reposant sur les femmes et les hommes qui habitent leur territoire, ne pouvaient être que sensibles à cette question.
Sur la forme, différents points positifs ont été abordés qui corroborent d’ailleurs l’avis des différents membres de Culture et Départements (Laure Descamps en Ardèche, Pierre Buch dans le Territoire de Belfort) qui ont suivi cette démarche : d’abord en terme de transversalité (d’intersection) entre politiques sectorielles des Départements et de coopération publique. Les Rencontres et forums organisés ont été à cet endroit un lieu et un levier de travail inter directions et ont regroupé différents niveaux de collectivités (communes, intercommunalités, Etat, ..) et d’acteurs (associations, enseignants, habitants, …). Ensuite, parce que dans un monde et une République en fortes mutations, cette démarche a, en intra départemental, interrogé les pratiques professionnelles dans le champ de la culture comme dans celui des autres politiques publiques et, en interdépartemental, créé des enrichissements mutuels qui seront peut être demain source à des « co-productions » éventuelles.
Culture et Départements qui s’est associé dés l’origine à cette démarche a également indiqué son souhait de la voir se poursuivre et s’élargir à d’autres Départements. Car elle offre aujourd’hui la possibilité de sortir de ce que nous savons faire, des dispositifs, des programmes descendants, pour aller peut être vers ce que nous pourrions faire : des cadres de valeurs partagés avec la capacité des femmes et des hommes de nos territoires de s’approprier des processus et donc de mettre en lumière nos ressources et nos singularités. D’autant que cette démarche est de plus en plus partagée (cf le Grand Débat) : Canopeea (collectif d’associations nationales pour l’éducation, enseignements et pratiques artistiques et culturelles) s’est associé à cette démarche 4D au sein de l’Assemblée des Départements de France et la FNCC (dont la contribution à la rédaction du texte « Et maintenant, la culture on fait comment ? » est évidente) débute un vaste chantier interinstitutionnel sur droits culturels, développement durable et diversité.
Des démarches et des interrogations qui pour beaucoup reposent sur la question des territoires. Culture et Départements intervenait sur cette thématique lors de la journée FNESR du 17 juillet en rappelant que ce mot de territoire pouvait être un faux ami s’il ne prenait en compte que les recompositions territoriales instituées en ne laissant pas une large place aux femmes et aux hommes qui habitent ces territoires. D’autant que de fortes mutations et sociales affectent ces derniers demandant de nouvelles articulations entre ville et campagne, entre métropoles et territoires ruraux, cela dans un édifice social fragilisé et des moyens public, et notamment départementaux, contraints.
Voilà qui demande donc de mieux articuler les actions publiques culturelles car comme l’a rappelé le Président de la FNESR et Maire de Toulouse, Pierre Cohen, « la culture doit donner du sens à la réforme des collectivités car la loi sera surtout consacrée à une meilleure organisation entre collectivités et la culture doit être l’alchimie de la coopération ». Tout en se méfiant d’un autre faux ami, le terme de transversalité avec son risque de dilution de la culture et de l’artistique et le besoin de reconnaître la spécificité de chaque politique sectorielle et d’en déterminer les zones de partage (l’intersection plus que la transversalité). Car la transversalité est parfois la négation de l'expertise sectorielle alors qu'il n'y a pas de bonnes intersections sans reconnaissance de filières comme l’ont rappelé la Région Pays de la Loire et Réseau en scène Languedoc Roussillon (17 juillet, FNESR).
Cette intersection vaut également pour une meilleure coopération publique entre collectivités (l’Etat étant la première des collectivités) qui ne peut se réduire à financements croisés, concertation ou encore compensation comme l’a rappelé Charles Josselin. D’où la nécessité de reconnaître la place des personnes. Car au-delà de notre droit constitutionnel à la culture, le respect de la diversité culturelle et l’égale dignité des expressions culturelles ne sont pas sans renvoyer aux droits culturels et à "qu’est qui fait culture dans un territoire" ?
Mais reconnaître les personnes, c’est aussi reconnaître les artistes. Leur présence artistique (artistes invités, implantés, coopérants) est une « ressource » pour un territoire. Si la présence artistique ne modifie pas le territoire physique, elle s’évertue donc à en redéfinir les contours sociaux et économiques. Jean-Basptiste Gilles (Député et rapporteur de la commission) a rappelé ainsi que la culture dispose d’emplois non dé localisables et en croissance. Et l’Europe ne s’y est pas trompée comme cela a été souligné lors des Ateliers Europe animés par Claudy Lebreton, Président de l’ADF, avec Pascal Brunet du Relai Culture Europe, Anne-Marie Autissier (Paris 8) et Michel Magnier (Commission européenne) le 19 juillet matin. Un atelier où Culture et Départements a rappelé l'engagement des ses adhérents dans la rédaction de la campagne de mobilisation et la ratification par notre association de la plateforme culture 2020.
Il y a donc nécessité aujourd’hui à inventer de nouveaux assemblages entre artistes, habitants, opérateurs culturels, sociaux, éducatifs, … et élus avec des responsabilités partagées et des solidarités interterritoriales car la « culture n’est pas une question d’équipement mais une question d’environnement et qu’il ne s’agit pas uniquement d’administrer l’existant mais d’avoir des projets » (Annonay, 17 juillet, FNESR)).
Nos politiques départementales vont-elles pour autant se territorialiser ? Cette journée de rencontre FNESR a été également l’occasion de présenter une première esquisse de l’étude express que Valérie Painthiaux du Conseil général du Pas-de-Calais pour Culture et Départements a lancé début juin et qui doit être restituée en septembre. L’enquête était donc parcellaire (25% des Départements ayant répondu) mais fait apparaître qu’un processus de territorialisation des politiques culturelles départementales a débuté : plus de la moitié des Départements ayant répondu l’ont engagé totalement ou partiellement, souvent d’ailleurs à l’initiative d’autres politiques publiques voire d’une posture plus globale de leur Conseil général.
Toutefois ce processus est encore bien limité car 1/3 des Départements disposent d’une délibération spécifique, 14 % des Départements évoquent une déconcentration d’agents et un tout petit peu plus déclarent des changements organisationnels, une majorité demeurant sur des lignes et dispositifs financiers déjà existants, et 7% seulement revendiquent une déconcentration dans des commissions territoriales spécifiques et aucun dans des modes de gouvernance associant le(s) territoire(s) ! A l’inverse de la "décentralisation rampante", on peut donc parler ici de "territorialisation grimpante mais aux racines bien fragiles". Mais avec qui et avec quoi ? En tête, les EPCI pour 85 %, les communes ne représentant que 35% et les Pays 14%, avec un fort couplage avec les structures culturelles pour 42 % et sans surprise, cette territorialisation s’établit dans les champs de la lecture publique (78%) et du spectacle vivant (71%), plus loin venant le patrimoine et les musées ou les arts plastiques et l’audiovisuel (1/5ème des Départements sur le global). Cette enquête express sous réserve des réponses encore à venir marque donc une territorialisation des politiques culturelles départementales engagée mais encore bien peu opérationnelle.
Elle ouvre toutefois la porte à de nouvelles stratégies telle celle du « cheval de Troie » du développement territorial que sont les Contrats Locaux d’Education artistique et culturelle, élément d’un projet éducatif territorial plus global. Mais elle demande encore à ce que nous soyons en capacité de « déplacer les bornes » en envisageant un territoire ressource et non un territoire stock, réceptacle de nos dispositifs et de nos programmes, qui permettrait aux femmes et aux hommes (et à leurs représentants) de se prendre par la main en leur offrant une capacité à faire dans un cadre établi. Voilà qui demande d’une part de faire évoluer nos pratiques professionnelles et de développer des compétences métiers afin de pouvoir être non uniquement des financeurs mais des accompagnateurs.
François Pouthier