La première étape, avant le rendu d’une étude confiée au sociologue Vincent Guillon en novembre prochain, a été un séminaire de travail partagé dans le Parc Naturel Régional des Causses du Quercy qui questionnait la place et l’impact de la culture, le rôle et le besoin de présence artistique, dans le développement des territoires ruraux. Il est vrai que l’arrivée de nouvelles populations est un enjeu fort
pour ces territoires qui connaissent un attrait nouveau. Elle transforme en profondeur nos différents espaces de vie et interroge nos relations sociales et culturelles : quels liens entre les habitants qui arrivent, repartent, restent ou ne sont jamais partis ? Comment favoriser les interrelations sur des territoires aux populations spatialement et socialement isolées ? Comment envisager le rapport à l’autre ?
Car aujourd’hui, nous connaissons de fortes mutations sociales dans nos territoires, qu’ils soient ruraux, rurbains, périurbains ou urbains avec des changements de repères et de paradigmes majeurs. D’abord, la dualité, qui opposait urbain et rural, est devenue aujourd’hui caduque. La ruralité n’est plus un espace périphérique peu perméable aux courants du progrès, elle n’est plus le monde agricole, elle n’est plus le monde de l’exode que l’attractivité des villes semblait avoir placé à la remorque de la modernité, et la ville n’est plus le monde de la richesse face à la pauvreté de la ruralité. Alors que l’Europe s’inscrit dans un phénomène de métropolisation, la France conserve sa spécificité : un semis de petites villes conjugué avec une occupation quasi-totale du territoire et une accessibilité physique et géographique en constante progression1. Voilà qui demande donc de nouvelles articulations entre ville et campagne et une prise de conscience que la majeure partie de la population française vit aujourd’hui dans un territoire au mode de vie périurbain, dans lequel il convient de mieux prendre en compte les nouveaux arrivants.
D’autant que ces arrivants cultivent de nouveaux comportements. L’espérance de vie a progressé tout autant depuis 1900 qu’entre l’an mille et l’an 2000. Notre vie est composée aujourd’hui d’un temps libre bien plus important que notre temps travaillé mais nous en manquons toujours plus cruellement pour nous nourrir de l’autre et de notre territoire d’habitation. Nous sommes ainsi plus près à faire une heure de voiture pour acheter un réfrigérateur ou à surfer durant cette même heure sur internet que prendre cette dernière à nous nourrir de notre proximité. Car simultanément, comme ironise Jean Viard2, notre mobilité n’a eu de cesse de progresser : 45 kilomètres par jour et des changements de couple et corrélativement de lieux d’habitation tous les 8 ans. En 10 ans, vingt millions de personnes, dont une majorité de 35-40 ans, ont déménagé. De facto, les flux économiques individuels épousent dorénavant de nouveaux chenaux. De manière synthétique, on pourrait ainsi dire que les territoires de production de richesse ne sont plus ceux où elle se redistribue, comme si « dans une société qui passe si peu de temps à produire et tellement à consommer, la dissociation entre temps de production et temps de consommation finit par se traduire par une dissociation entre lieux de production et lieux de consommation3 ».
Aux seules migrations économiques (la recherche d’un emploi) se sont adjointes des migrations de nature sociale ou d’agrément (la recherche d’un logement et/ou d’une qualité de vie). Et le paradigme du développement territorial s’est infléchi : la rotation des populations et le cycle de vie des ménages ont inversé les soldes migratoires et, pour la première fois depuis la Révolution industrielle, renversés la relation Ville-Campagne.
La place de l’artiste dans les territoires, se doit donc, elle-même d’évoluer4. Elle ne peut plus se réduire à une action culturelle déconcentrée dans la périphérie de la périphérie avec comme seule logique, la proximité ou comme seule question, l’animation du territoire, même limitée au tourisme. Elle ne peut être également réduite à produire du lien social comme si l’événement et la fête, sources d’échanges et de rencontres entre les habitants, devenaient en eux-mêmes des médiateurs sociaux. En revanche, ses fonctions environnementales, par la mise en lecture des paysages, économiques, par la « tierce économie »5 qu’elle implique bien au-delà d’une économie de terroir et sociales par les présences, résidences ou implantations artistiques sont en mesure de restaurer, souder et inventer un autre rapport entre nouveaux arrivants, personnes qui habitent le territoire et les « gens d’ici », ceux qui sont partis comme ceux qui sont restés6.
François Pouthier
Télécharger le compte rendu intégral IPAMAC, journées d'étude de Lalbenque
SOURCES ET REMERCIEMENTS
1 - DATAR, Quelle France rurale pour 2020, contribution à une nouvelle politique de développement rural durable, CIADT du 3 septembre 2003
2 - VIARD (Jean), Paroles et fragments, Lettres d’Echanges de la FNCC, NOS 56/57, Saint-Etienne, 2010, p. 38-43. Et aussi VIARD (Jean), Eloge de la mobilité, Editions de l’Aube, Paris, 2006
3 - DAVEZIES (Laurent), La République et ses territoires, la circulation invisible des richesses, Seuil, La République des Idées, Paris, 2008
4 - Voir Portrait de l’artiste en passeur de territoire, Culture et Départements, septembre 2010
5 – Voir notamment les actions des Articulteurs en Pays de Redon
6 - NOROIS, Patrimoine, culture et construction identitaire dans les territoires ruraux, textes réunis par JOUSSEAUME (Valérie), DAVID (Olivier), Revue géographique des Universités de l’Ouest, PUR, N°204, novembre 2007