Edito - 31/01/13

Compétitivité, croissance, attractivité, … autant de mots clefs qui s’imposent aujourd’hui dans notre lexique des politiques publiques. A Culture et Départements, nous leurs préférons cohésion sociale et développement territorial car nous sommes convaincus qu’art et culture constituent un espace public privilégié de l’implication citoyenne et sociale des habitants de nos territoires.

Tel est le point de départ de la Tribune publiée par Culture et Départements dans de le numéro de La Scène de l'hiver 2013. Car nos territoires, qu’ils soient ruraux, rurbains ou

urbains, sont affectés par de fortes mutations qui ne sont pas sans changements de repères. La dualité qui opposait urbain et rural est devenue caduque. La ruralité n’est plus un espace périphérique peu perméable aux courants du progrès, elle n’est plus le monde de l’exode que l’attractivité des villes semblait avoir placé à la remorque de la modernité. Alors que l’Europe s’inscrit dans un phénomène de métropolisation, la France conserve sa spécificité: un semis de petites villes conjugué avec une occupation quasi-totale du territoire et une accessibilité en constante progression[1]. Voilà qui demande de nouvelles articulations dans nos départements, entre ville et campagne[2], entre métropoles et territoires ruraux.

D’autant que ces personnes qui habitent le(s) territoire(s) sont soumis à de puissantes contraintes sociales et sociétales. L’espérance de vie a progressé tout autant depuis 1900 qu’entre l’an mille et cette même date[3], avec des conséquences directes tant pour des personnes valides mais isolées que pour des personnes en perte d’autonomie. Notre vie est composée d’un temps libre bien plus important que notre temps travaillé; un temps libre contraint pour ceux en difficulté d’inclusion sociale; un temps libre, pour d’autres, soumis à de multiples déplacements car notre mobilité n’a eu de cesse de progresser: En conséquence, les flux économiques individuels épousent dorénavant de nouveaux chenaux. On pourrait ainsi dire que les territoires de production de richesse ne sont plus ceux où elle se redistribue, comme si « dans une société qui passe si peu de temps à produire et tellement à consommer, la dissociation entre temps de production et temps de consommation finit par se traduire par une dissociation entre lieux de production et lieux de consommation[4]». Aux seules migrations économiques (la recherche d’un emploi) se sont adjointes des migrations de nature sociale ou d’agrément (la recherche d’un logement et/ou d’une qualité de vie). Et le paradigme du développement territorial s’est infléchi : pour la première fois depuis la Révolution industrielle, la relation Ville-Campagne s’est renversée ; comme si les territoires pouvaient être dorénavant réduits à la déclinaison du suffixe « tiel » -des espaces résidentiels aux paysages artificiels et à l’économie présentielle - comme si ces derniers étaient condamnés au syndrome du suffixe « tion » : ghettoïsation ou gentrification.

Le(s) territoire(s) est(sont) donc confronté(s) à un édifice social fragilisé accru par un environnement économique contraint ; dans un temps, qui plus est, de recomposition territoriale et de réforme des collectivités territoriales aux enjeux certes importants mais aux contours encore flous. Dans ce contexte qui favorise parfois la concurrence entre collectivités, les Départements de France disposent d’un rôle fondamental tant par leurs compétences sectorielles dans le domaine social (Schémas des personnes âgées et handicapées, Maisons Départementales Solidarités, ...), jeunesse (Collèges), culturel (Schémas des Enseignements Artistiques, Plans Départementaux d’Education Artistique et Culturelle, Archives et BDP,…) et de l’insertion professionnelle (emploi, RSA,…) que par leur rôle historique dans l’aménagement et l’accompagnement des territoires de proximité.

Mais pour se faire, la construction de politiques territoriales cohérentes au bénéfice d’une meilleure cohésion sociale se doit d’abord de mieux articuler nos actions publiques. S’intéresser à chacun avant d’essayer de s’intéresser à ce que l’on fait vaut aussi dans notre capacité à transcender le sens de chaque action et oblige au décloisonnement. Et ce dans une dimension non plus sectorielle qui a construit les catégories de l’intervention publique mais transversale, posée sur une notion d’équivalence et de définition de valeurs communes.

Si la construction de ces politiques territoriales nécessite des dialogues reconnaissant les missions de chacun tout en étant en mesure de mieux les conjuguer, elle pose également la nécessité d’une coopération publique accrue. Les pratiques culturelles à tous les âges de la vie ne peuvent être qu’une compétence partagée. Ces dernières doivent reposer sur un partenariat étendu et une coopération active : coopération entre collectivités afin d’éviter fragmentation et morcellement ; coopération intersectorielle entre acteurs artistiques, sociaux et culturels car la totalité des « temps de vie » doivent être couverts ; coopération de terrain enfin afin de mutualiser et mobiliser les énergies des organismes culturels et des créateurs présents sur le territoire du projet. Il est donc essentiel de mieux articuler les soutiens à la création, les actions et schémas aujourd’hui par trop fragmentés et de « batir des communautés mutuelles »[5] où l’économie ne peut être absente, dans un rapport hétérarchique plus que hiérarchique, ce qui n’est pas sans rappeler la pensée archipélique d’Edouard Glissant.

Il convient également de réinterroger les mythes fondateurs de nos politiques d’accès à la culture. Dans un monde en mutation, l’éducation, l’art et les savoirs sont au cœur des enjeux. La généralisation de l’éducation artistique et culturelle, notamment au travers des Plans Départementaux et/ou des Contrats Territoriaux d’Education artistique et culturelle, le renforcement des enseignements et pratiques artistiques, inscrits ou non dans des Schémas départementaux encore inachevés, demeurent un des pivots essentiels des politiques publiques départementales. Car la fonction éducative doit permettre à chacun de se construire en tant que sujet du monde, héritier d’une histoire dont il perçoit les enjeux, capable de comprendre le présent et d’en inventer l’avenir. Et les Départements tant par leur implication dans la proximité que dans leur rôle d’intercesseur entre primaire et secondaire, entre scolaire et jeunesse, y ont un rôle prépondérant à jouer.

Mais les pratiques culturelles évoluent, les esthétiques se croisent et les technologies transforment les rapports à l’art ainsi que les valeurs et droits qui y sont attachés. Reconnaître la place des personnes - de ceux qui habitent le territoire ou que le(s) territoire(s) habitent pour reprendre la jolie formule d’Alain Lefebvre - ne peut se limiter à pratiquer une discipline artistique. Le respect des droits humains, l’accès à des ressources culturelles plus larges que les seuls champs de l’art sont essentiels pour que toute personne vise son émancipation comme partie prenante de son propre développement et du développement du « commun ». L’accès aux Droits de l’Homme demande, au-delà d’un droit à la culture, de reconnaître les droits culturels[6] de chaque personne afin de garantir non son identité mais sa liberté à s’identifier. Voilà qui peut, si besoin était, « redonner du souffle» à nos politiques culturelles départementales. Avec des Conseils généraux et une Assemblée des Départements de France qui ne s’y sont pas trompés comme peuvent en témoigner les rencontres proposées par l’ADF à Avignon cet été et l’expérimentation menée par les Conseils généraux du Nord, de l’Ardèche, de la Gironde et du Territoire de Belfort en collaboration étroite avec le Réseau21.

D’autant que reconnaître les personnes, c’est également reconnaître ceux qui développent une démarche artistique. Car si un projet artistique se nourrit d’une population au travers de ses cultures, un projet de territoire peut se nourrir des artistes au travers de leurs singularités qui est leur force. Les artistes présents, qu’ils soient invités, associés ou implantés, issus ou habitants du(des) territoire(s) ne peuvent pas ne pas s’en imprégner car ce qui se dessine dans une inscription territoriale, ce n’est pas tant la définition du lieu que le désir du lien, celui qui transforme l’artiste en citoyen.

Si l’on souhaite maintenir une cohésion dans nos territoires et entre ces territoires en recomposition, Il y a donc nécessité, au sein de nos Conseils généraux, de « déplacer les bornes ». Pour cela, un « pas de côté » nous semble être à Culture et Départements déterminant[7]. Car la culture, ses lieux, ses ressources, se partagent. Il s’agit là de biens communs financés pour l’essentiel par la collectivité pour que les personnes puissent sortir de leur culture propre, s’émanciper et développer leur curiosité en direction de toutes les cultures en se construisant non dans un modèle unique mais au contraire dans sa diversité. Et c’est probablement dans cette responsabilité partagée qui rend nécessaire d’entrer en dialogue avec d’autres mondes sociaux, d’autres réalités institutionnelles, d’autres pratiques professionnelles, que les politiques départementales de la culture peuvent, tout en étant conscientes du chemin parcouru, contribuer à produire un référentiel autre pour l’art et la culture.

François Pouthier

*L’association nationale Culture et Départements rassemble depuis 1991, les Directeur(trice)s des Affaires Culturelles des Conseils généraux, des intercommunalités et des agences culturelles départementales. Carrefour d’études et de recherches, lieu de conseil et de mise en partage de la ressource, Culture et Départements mène une réflexion collective sur les politiques culturelles territoriales et s’est faite connaître par l’organisation de colloques au Sénat puis, de manière décentralisée, en région. L’association participe à la construction des politiques publiques et entretient des relations étroites avec les associations nationales d'élus (A.D.F., F.N.C.C.) et le Ministère de la Culture et de la Communication. Elle est membre fondateur de la FNADAC (Fédération Nationale des Associations des Directeurs des Affaires Culturelles des collectivités territoriales) dont elle assure actuellement la Présidence. www.culturedepartements.org


[1] - DATAR, Quelle France rurale pour 2020, contribution à une nouvelle politique de développement rural durable, CIADT du 3 septembre 2003.

[2] - Culture et Départements s’est impliqué auprès d’Ipamac (Parcs naturels du Massif central) sur la thématique « Vivre ensemble à la campagne : nouveaux arrivants et cohésion sociale ». A lire : De l’art pour la campagne, Ipamac, novembre 2012.

[3] - VIARD (Jean), Nouveau portrait de la France, la société des modes de vie, L’aube, La Tour d’Aigues, 2011.

[4] - DAVEZIES (Laurent), La République et ses territoires, la circulation invisible des richesses, Seuil, La République des Idées, Paris, 2008.

[5] - LE MONDE-LA VIE Hors Série, L’atlas des utopies, été 2012.

[6] - Déclaration de Fribourg sur les droits culturels, 2007. Voir également LUCAS (Jean-Michel), Culture et développement durable, il est temps d’organiser la palabre, Irma, Paris, 2012

[7] - 10 ans après le colloque national « Nouveaux territoires de la culture, nouveaux partenariats : Le rôle des Départements dans la recomposition des politiques culturelles locales » (Marseille - juin 2003) et 5 ans après le séminaire « Territoires, départements et politiques culturelles » (Bordeaux - juin 2007), Culture et Départements met en oeuvre une « petite coopérative de fabrique territoriale » sous forme d’un séminaire collaboratif les 31 janvier et 1er février prochains à Arras (Pas de Calais).

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