Témoignage et perspectives des politiques culturelles unes et indivisibles ? Nul ne détient la vérité
Par Philippe Veyrinas, président de Culture et Départements.
Plus de 22 ans de vie artistique et culturelle m’ont donné tant de joies et de rencontres qu’il est temps aujourd’hui, à la « faveur de ce temps suspendu » d’appuyer sur pause, de se retourner et de se projeter. 61 ans après la création du Ministère de la culture, la France est probablement le pays le mieux structuré et mailler en lieux culturels divers (cinémas, théâtres, musées, bibliothèques et médiathèques, librairies, espaces culturels, MJC…….) où la démocratisation culturelle a été portée par des hommes aussi exceptionnels que René RIZZARDO, qu’il m’a été donné de rencontrer plusieurs fois, la dernière lors d’un colloque à l’Institut français de Barcelone en novembre 2008.
La crise majeure, le pire fléau sanitaire depuis la grippe espagnole et les épidémies de 1957 et 1969 va mettre les décideurs et les acteurs au pied du mur…culturel : il n’y a que des preuves d’amour…..en faveur des arts, de la culture, des cultures, et du patrimoine, du livre, etc…
Dans notre secteur, comme ailleurs, les plus fragiles sont et seront les plus touchés voire même irrémédiablement. L’Allemagne et Berlin viennent d’être aussi efficaces dans le déblocage de fonds fédéraux, gouvernementaux et municipaux pour venir en aide au monde culturel que dans la gestion du Covid-19. Que celles et ceux qui n’évoquent pas la question ou n’y pensent même pas, se demandent ce que serait un monde sans musique, sans artistes, sans cinéma, sans théâtre, sans auteur(es), sans peintre ni photographe, etc….
Des Régions Départements, communes, Métropoles, etc sont déjà venus au secours des acteurs culturels par l’action, la concertation, la promesse ou le déblocage effectif de fonds de soutien. C’est un message modeste et positif que je souhaite exprimer ici et maintenant : l’Etat-providence auquel j’inclue bien évidemment les Collectivités locales au premier rang, apportent des crédits et accompagnements significatifs au monde artistique et culturel, qui demeure encore par trop, centralisé.
Le numérique prend tout sa dimension en ces temps de confinement ou de couvre-feu où plateformes de diffusion en tous genres donnent parfois un accès libre aux œuvres de l’humanité comme aurait dit Malraux ;
Tout un chacun peut découvrir ou redécouvrir un opéra, des productions de la comédie française ou des théâtres privés, de scènes nationales ; etc… des concerts, des œuvres picturales ou photographiques, des expositions en avant -première faute d’ouverture au public.
Il nous incombe de nous adapter aux usages de la jeunesse et de l’amener vers « l’incarné » en chair et en os.
Une certaine démocratisation de la culture est en action-de « complément », dite de « salon » ou en « chambre » comme vous voudrez. Lorsque le déconfinement viendra pour tous lent et progressif, il sera peut-être pertinent de se souvenir de ce mot d’un ministre de la culture émérite : « la culture n’a pas de prix mais elle a un coût ».
C’est dans un esprit constructif partenarial, intergénérationnel et pluridisciplinaire que Culture et Départements inscrit son action, au plus près de la solidarité culturelle territoriale.
Les artistes sont des artisans au sens le plus noble du terme, ils divertissent, émeuvent, portent un regard distancié sur leur époque voire sur le passé et l’avenir.
Privé….public…nul ne tient la vérité, l’œuvre touche un public ou non….
Le rapport à l’émotion me semble simple. Les « sachants »existent a priori dans beaucoup de domaines, « tous les chemins mènent à Rome-sauf en 2020 …. » comme je l’ai entendu du journalisme que j’ai côtoyé un temps et la culture aussi dirais-je.
S’il n’y pas de déterminisme social-si en tout cas, il ne devrait pas y en avoir-pourquoi n’existerait-il qu’un seul chemin pour faire partie du cercle des « poètes disparus ».
Comme il y a autant de cultures que de diversités humaines dans le monde, il y a tant de diversité de parcours qui ont fait et constituent la richesse collective et individuelle des peuples et des Nations.
Les droits culturels nous semblent un excellent angle d’appréhension du monde d’après…En effet, aux dispositions, conventions, Pactes internationaux , est venue s’adjoindre la Loi NOTRe en août 2015, après que quelques Départements pilotes se soient emparés du sujet, déclinés parfois en symbiose avec toutes leurs politiques pour aboutir à un projet de « société départementale ».
D’aucuns ont en fait un projet de service/ de direction, enthousiasmant les équipes, un DGS, et leurs collègues et homologues, proposant de partir des territoires et des populations dans toutes leurs diversités sociales et ethniques…après avoir écrit, vécu des formations et portées par des sociologues et spécialistes émérites, nous étions bien au delà des concepts, dans la boîte à outil, chère à nos élus et à nous-mêmes : prag-ma-tique !
Le devoir de réserve du fonctionnaire est bien pratique parfois.. Quelle plus belle expression démocratique que de viser à connaître autrui, surtout celle ou celui qui se sent intrinsèquement éloigné des arts comme spectateur ou praticien !
La culture pour tous, concept éculé ? : Le grand Chef d’orchestre, Jean-Claude CASADESUS racontait en mars 2015 lors de l’anniversaire des premières politiques dédiées aux enseignements artistique (époque Landowski..) qu’un beau jour, dans un taxi à Roissy, revenant de diriger à Milan, le chauffeur lui demande sa profession, Casadesus, une fois l’information donnée s’entendit répondre : « ah ce n’est pas pour moi cela » : c’est bien entendu la noblesse de notre mission de service public que d’œuvrer dans cette grande chaîne artistico-culturelle et éducative pour celles et ceux qui pensent que ce n’est pas pour eux ou qui n’y pensent même pas !
Accès à la culture : gratuité démagogique ?
Présider à la programmation d’un des plus beaux théâtres de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, au théâtre du Casino Grand Cercle à Aix-les-Bains fût exaltant tout autant que de créer une unité de programmation culturelle composée des talents experts de l’époque, en 1999. Prédéterminé, comme comédien raté, je préemptais le théâtre. Opéra, danse, théâtre, musiques savantes et du monde se succédaient, créations locales bien entendu.
Au Département de la Savoie, 2è chance inouie ; jeune DAC fin 2002, j’ai eu la charge de créer un Festival pluridisciplinaire gratuit dans l’écrin de la Cour d’honneur du Château de Ducs de Savoie. 16 éditions et 15 ans de bonheur où les plus grands (sauf en lyrique) se sont produits sur cette scène où maintes créations locales furent présentées.
La gratuité a souvent interrogé quand nous présentions les mêmes concerts jazz, classiques, world music ou pièces que dans les plus grands festivals. Un temps, nous partîmes sur les territoires avant de revenir au château, ADN du festival, toujours et déjà après 4 éditions, les CSP des spectateurs fleuraient bon les « non initiés », ceux qui n’auraient pas eu les moyens ! Pragmatisme toujours…
Education artistique et culturelle: Nous avons toujours eu beaucoup d’admirations pour les engagés de la première heure de l’éducation populaire, de l’éducation artistique et culturelle, qui constituent souvent les femmes et les hommes de l’ombre, comme le sont par ailleurs tous les métiers techniques de la scène.
D’autant plus admiratifs de ces parcours d’EAC, car d’aucuns ont commis d’excellents ouvrages que (Marie-Christine Bordeaux/François Deschamps, François Pouthier) et par ailleurs, mon propre parcours s’est fracassé sur une la 5è de Beethoven au collège par la violence d’un prof de musique. Il fût remercié pour sa baguette de Chef raté, reconverti en brise doigts d’élèves pas –assez-attentifs : nulle rancune, j’adore Beethoven !
J’ai donc suivi une « acculturation culturelle » semi autodidacte au gré mes rencontres artistiques chanceuses et de celles et ceux qui m’ont accordé leur confiance : du Caravage à Maurice Béjart, de Belmondo à Eric-Emmanuel Schmitt ; un fils français que l’on qualifierait de « classes moyennes » a eu l’opportunité de suivre son instinct, ses appétences et celles de ses mentors.
Regardez Demos (grâce à ce dispositif, des enfants n’ayant jamais touché un instrument, voire jamais écouté de musique classique, bénéficient d’un apprentissage en cours collectif pendant 3 ans) ou les orchestres de jeunes d’ile-de-France, ces belles histoires se passent de commentaire. L’école de Jules Ferry demeure donc bien le creuset objectif de la démocratie culturelle.
Des enseignements artistiques …un peu moins démocratiques : si les Harmonies et les fanfares font vivre les territoires, forcément souvent nourries par les EEA, le coût intrinsèque de ces parcours sans aller jusqu’au 3è cycle sont objectivement « un peu moins » accessibles à toutes et tous….Je n’en conçois pas moins une affection et une admiration non flagorneuse pour les enseignants en EEA* et les musiciens intervenants. Les classes CHAM viennent effectivement entre autres contredire ce raccourci.
Un patrimoine « mécéné : du mécénat de « compétence » au défi ardent
Quelle idée saugrenue de considérer-parfois-consciemment ou non, le patrimoine comme « vieille pierre inerte ». Il a bien été construit et habité par des humains, nos semblables et nos prédécesseurs. Il a donc bien été « habité ». Le témoignage de notre passé, son entretien et sa vie sont et doivent être essentiels aux politiques culturelles. Animer, faire vivre le patrimoine tout autant et nos Petites Cités de caractère aux côtés des Métropoles, chefs lieux, villes-centres, sous-Préfectures.
Il est d’ailleurs réjouissant de constater quelle ardente passion y mettent nombre de Collectivités, d’associations et de particuliers, pour qui c’est l’œuvre d’une vie. MHC ; MHI, PRNP, Fondation du patrimoine, des dizaines d’association favorisent l’entretien et la « renaissance » d’un patrimoine qui fût jadis, centre de la vie économique et culturelle de leurs contemporains.
Martin MALVY l’avait très bien traduit en conseillant de rationnalise les aides labellisées en la matière via un regroupement d’intervenants sous un Label France Patrimoine qui a vu le jour fin 2019.
Ne soyons pas –trop- jacobins, n’oublions pas l’Etat aux côtés des Collectivités et des associations. Le patrimoine est aussi Antiquités et objets d’arts, mais pas que, tout cela relève du vivant, entretenu par des professionnels passionnés.
Le patrimoine immatériel trouve de plus en plus d’écho autour notamment des savoir-faire et des arts de vivre. Je regrette de voir le patrimoine sous-traité par les « arts vivants » dans les Fédérations et associations nationales, et je m’inclue dans ces regrets même si la « motivation de motiver » est bien présente de contribuer à changer cela.
Une politique du livre…au prix unique : l’avènement du numérique et du 3è lieu….
Depuis les décrets de 1986, les BDP devenues BD ont porté une de deux voire trois seules compétences culturelles obligatoires avec les Archives et les SDEA.
La politique heureuse du prix unique du livre a maintenu une permanence depuis bientôt quatre décennies. Le maillage des bibliothèques et des médiathèques, renforcé par les Contrats Territoire Lecture sont la preuve intangible d’une politique de proximité imparable, accessible à –quasiment-tous.
Tous les âges depuis le dispositif Premières pages sont concernés. Nombre de BD constituent des plateformes renforcées de diffusion culturelle très diversifiées, encore plus en temps de crise sanitaire « confinante » : films, concerts, albums, BD, presse, expositions, etc….sont proposés au public.
L’interactivité et le numérique sont venus bouleverser et avantageusement compléter les offres traditionnelles de prêt. Ma « Bib » dans la cité tend à devenir le 3è lieu après le domicile et le bureau, c’est en tout cas, l’ambition affichée.
Les BD et les médiathèques rivalisent en termes d’accueil de manifestations dites de petite forme : danse, théâtre, lecture, conférences….Certes, un Ipad ou une tablette ne risquent pas de finir au feu…mais leurs potentialités relayant l’offre culturelle est infinie.
Le « monde » d’après ?...ou l’effet « boule de cristal »
«Il vaut mieux penser le changement que changer le pansement » , mais qui peut se prévaloir de dessiner l’avenir ??!!!!
Arrêtons de juger parfois, de critiquer souvent sans savoir ni connaître, mais pensons le changement et le monde d’après…ensemble…c’est tout.
Le Covid-19 lui-même balaye les croyances et convictions, la mondialisation à outrance, l’Europe de Schengen, la consommation de masse…les recherches biologiques et médicales intenses. Ce virus insaisissable n’a pas de frontière, pas de culture spécifique sinon la souffrance qu’il engendre pour tous les 188 pays touchés, pas de déterminisme social puisqu’il touche tous les humains sans distinction mais précarise encore plus les plus démunis.
Il génère de l’héroïsme au « quotidien » en période exceptionnelle, de la solidarité, de la créativité et de l’inventivité et semble envoyer un message fort de protection de l’environnement et du climat.
Solidarité et créativité s’apparentent et peuvent s’appliquer aux arts et à la culture, aux cultures. Le numérique pour qui est équipé et connecté sans fracture…numérique, permet accéder à toutes les formes d’art, souvent gratuitement en temps confinés…assez simple finalement, et pas dogmatique pour un sou…Tendance lourde ou transition de circonstance virale ?!
Certes, rien ne vaut le vécu du « direct ».
Là où il y a une volonté, il y a un chemin, des actes et des preuves, certaines Collectivités le démontrent déjà et l’Etat a pérennisé ses fonds de soutien. Le mécénat le prouve aussi-plus qu’on de croit-même si cela a besoin d’être renforcé et ré-encouragé » dans notre pays. La loi du 4 août 2003 était à ce titre fort incitative en l’ état.
Un rééquilibrage sectoriel et géographique …évident entre grandes institutions et la cohorte créatrice et généreuse des compagnies et artistes français devra être assuré par l’Etat ;
j’avais entendu JF MAGUERIN, dernier DRAC de feu la Région Rhône Alpes s’exprimer sur le sujet en 2013. L’Express avait consacré un dossier là-dessus en 2019. C’est là l’enjeu majeur du rééquilibrage territorial.
De la prescription à la co-construction et la co-production
On peut considérer que l’Etat prescripteur a en partie vécu, tant les Collectivités s’autodéterminent sur leurs politiques culturelles.
Communes, Régions et Départements représentent année après année les principaux bailleurs de fonds, mécènes, rivalisant d’imagination et d’adaptabilité dans leur soutien et leur accompagnement de la culture au sens large.
La crise sanitaire sans précédent au XXIè siècle laisse à penser que les modèles inclusifs, collaboratifs et participatifs ont de l’avenir et de la consistance, du sens enfin.
Le développement de l’innovation territoriale pluridisciplinaire, vecteur d’aménagement du territoire a de beaux jours devant lui.
L’action culturelle s’insère et s’insérera de plus en plus dans une action globale de territoire, concertée et intrinsèquement transversale d’aménagement. Même si le clientélisme a aussi sûrement-aussi- de beaux jours devant lui.
Pour demain, chacun s’accordera à dire que l’effort portera sur la jeunesse, les parcours d’acculturation les personnes les plus éloignées de la culture, socialement et géographiquement.
Il s’agit tout simplement d’une des plus belles missions de service public : éduquer, accompagner, aider au développement personnel, donner du plaisir et de l’émotion. Les retombées directes et indirectes du secteur culturel et artistique sont la preuve formelle de son impact économique. Inutile de rappeler que l’été 2020 sera bien triste en la matière entre autres
De toutes les grands crises et conflits mondiaux sortent des inventions voire des réinventions. Depuis que nous entendons de colloque en colloque, d’Assises en Rencontres, le concours Lépine et sa plus belle médaille ne sont pas loin pour les années 20, 30 etc de ce siècle.
Ici s’achève mon modeste inventaire, sans Prévert …mais très culturellement et artistiquement optimiste !!!
A François D et P, Vincent L et B, Pierre B71, Francis, Laure, Jean-Pierre XVI, Gilles T, Jean-Philippe L, Philippe S, , Christophe P, Henri, Frédéric, Marion, Sophie, Mireille, et les autres.
Virtuellement à Rodez, 21 octobre 2020.
Philippe VEYRINAS
Président de Culture et Départements
En 2021, l’association Culture et Départements célébrera ses 30 ans à Bordeaux ( IDDAC Gironde) et fera son C et D Tour ( Orléans, Paris, Lyon, Colmar, Strasbourg, etc…)